Conférence nationale de santé 2001 (Strasbourg 27, 28 et 29 mars 2001)
Les troubles de lapprentissage et lécole
Les résultats des premières années du cursus scolaire sont déterminants pour la suite de la scolarité. Le Haut Comité de la santé publique (HCSP) rappelle dans son rapport sur la précarité que « le passage à lécole induit de façon forte la vie ultérieure : les performances scolaires influencent le degré dinsertion sociale, le revenu économique laccès à lemploi, la santé et lespérance de vie »
La place occupée dans la société par une personne va mobiliser un certain nombre de ressources personnelles : le sentiment dautonomie, le sentiment dutilité sociale, la conscience dutiliser son potentiel de compétences et davoir une maîtrise sur ce qui arrive.
La croyance du sujet dans ses possibilités de contrôle de lenvironnement se différencie du contrôle effectif qui est la maîtrise réelle des situations. Notre société, et tout particulièrement les enseignants, ont un discours éducatif et des pratiques évaluatives qui privilégient les valeurs dautonomie, de prise en charge, de responsabilité. Les personnes qui pensent exercer un contrôle sur leur propre vie se différencient de ceux qui attribuent un rôle important au hasard. Les premiers obtiennent de meilleures performances que les seconds.
Certaines pratiques éducatives des parents induisent un équilibre subtil entre lapport de modèles, lexercice permanent du contrôle et un discours d appel à lautonomie et à la responsabilité. Les attitudes éducatives moins favorables consistent à ne pas laisser à lenfant loccasion de chercher par lui-même des réponses aux problèmes et à imposer des solutions sans chercher à permettre leur généralisation.
Pour une partie des enfants, lécole peut devenir un lieu de perte de confiance en soi, et parfois dhumiliation. Linsuffisance de leurs performances scolaires sera attribuée au manque de travail, à leurs capacités personnelles, à lincompétence ou au désintérêt des familles pour lécole.
Parmi lensemble des compétences scolaires, savoir lire a un statut premier dans la mesure où cest par lécrit que lenfant va pouvoir acquérir les autres compétences scolaires et culturelles.
Jusquà une époque récente, les troubles du langage oral et écrit (dysphasie et dyslexie) étaient assez globalement ignorés ou déniés, aussi bien par lécole que par la médecine. Un rapport du Haut Comité de la santé publique de 1999 sur ce sujet, puis deux autres rapports remis aux Ministres de lÉducation nationale et de la Santé par J. C. Ringard et F. Veber aboutissent en 2001 au « Plan daction pour les enfants atteints dun trouble spécifique du langage » commun à ces deux ministères.
Ce plan veut associer pour la première fois, une approche médicale et une action pédagogique à lécole. Cest la prévention de léchec scolaire par le dépistage dès le plus jeune âge des troubles de la vision (ophtalmologie), et de laudition (orthophonie), des difficultés associées à lenvironnement familial (psychologie) et celles qui sont en relation avec lenvironnement pédagogique. Notre pays, très en retard sur la reconnaissance et la prise en charge de ces troubles, est entrain de se réveiller ! Le ministère de la Santé a déjà pris pour 2001 des mesures concrètes ; les troubles, du langage oral et écrit, apparaissent aussi dans les priorités nationales de recherche.
Pour la mise en uvre des actions proposées, il est essentiel de renforcer le nombre de professionnels compétents, en particulier chez les médecins (généralistes, pédiatres, pédopsychiatres). Il en est de même chez les enseignants. Il est essentiel de donner rapidement une place beaucoup plus importante à ces questions, dans la formation initiale (études médicales) et continue des médecins (surtout en médecine générale, pédiatrie, pédopsychiatrie).
Pour les troubles du langage (oral ou écrit) et des apprentissages, le plan daction charge les médecins de santé scolaire du repérage, du suivi, de ladaptation scolaire et des nécessaires articulations entre la famille, le système de soin et lécole. Cela va de soi, car les médecins de lécole doivent être parmi les médecins les plus compétents pour réaliser leurs missions. Mais la prévalence de la dyslexie est telle que cela fait un à deux enfants par classe à suivre et ce du cours préparatoire au collège ; des évaluations régulières et des concertations visant à mettre en place des projets dintégrations individualisés doivent associer les familles, les enseignants et les professionnels de santé.
Depuis trois années, le laboratoire Cogni-Sciences de Grenoble* a permis de faire une première formation (3 jours par médecin) à environ 40 % des médecins de lÉducation nationale. La mise en pratique est lente ; cest le problème de la formation initiale et de la formation continue sur les troubles du langage et des apprentissages, qui doivent être assez centrales et de bon niveau, pour les compétences du médecin de lécole. Sil est le médecin du « travail » de lenfant à lécole, celui-ci a principalement pour travail dapprendre.
Avec lidentification de ces pathologies et les conséquences quelles ont en termes de temps de travail pour les médecins de santé scolaire leur nombre actuel paraît largement insuffisant pour mener à bien ces tâches de dépistage, dintégration scolaire et de suivi. Avec les médecins des services de protection maternelle et infantile (PMI), il est attendu la réalisation dun dépistage au cours de la 4e année de lenfant. Ce bilan de santé de la 4e année nest que conseillé et pas obligatoire. Linégalité entre départements est grande : seulement 40 à 50 % des enfants bénéficient du bilan de la 4e année réalisé par les services de PMI, car les politiques et les orientations des conseils généraux sont très diverses.
Les effectifs des médecins de PMI sont limités, et leur formation initiale et continue sur les troubles du langage reste entièrement à faire. La Conférence nationale de santé ne peut que se féliciter de lavancée que représente ce plan daction, ainsi que de la collaboration des ministères de lÉducation nationale et de la Santé. Dans ce domaine, elle est essentielle pour la prise en charge des enfants concernés et une approche globale de ces troubles.
Pourquoi les troubles de lapprentissage scolaire ?
La région Champagne-Ardenne, a proposé comme priorité « les difficultés des troubles dapprentissage scolaire ». De plus en plus de parents désirent que leurs enfants donnent le meilleur deux-mêmes ; ils ont lintuition que leurs enfants possèdent nombre de ressources qui ne sont pas exploitées ; lintelligence, la mémoire, limagination peuvent séduquer et être développées dans la famille. Comment atténuer le malentendu entre les enfants qui souhaitent apprendre et ceux qui souhaitent leur apprendre ? Comment mieux faire connaître ce qui caractérise le processus dapprentissage ?
En matière déducation beaucoup a été écrit sur les aspects médicaux, sociologiques et psychologiques de la réussite scolaire. Léchec scolaire affecte les enfants de tous les milieux. La pédagogie est aussi devenue une science et nous avons encore beaucoup à découvrir : Comment sy prend-on pour apprendre ? Comment peut-on apprendre à autrui à apprendre ? Comment ne pas rajouter de brutalité dans les comportements pédagogiques ? La réussite scolaire est dabord pour tout enfant une affaire de respect de sa différence et de pédagogie.
En France, en scolarité primaire, 16 à 24 % des élèves selon les études, sont en échec scolaire ; 2 à 3 % par suite de déficiences sensorielles, motrices, mentales ; 10 à 15 % à la suite de causes socioculturelles, économiques, pédagogiques, psychologiques ; 4 à 6 % du fait de troubles de développement spécifiques des apprentissages. Si bien quen France, 5 à 6 % des enfants nouvellement scolarisés chaque année vont présenter des troubles majeurs dapprentissage scolaire.
Faut-il considérer les troubles dapprentissage, cest-à-dire les troubles dacquisition de la lecture, de lécriture, du calcul en eux-mêmes ? Ou faut-il renverser la question et se demander sil y a adéquation de lécole aux besoins dun enfant pour quil soit en état de faire ses apprentissages ?
En dautres termes, regardons un enfant, assez bon élève, et essayons de repérer ce qui va faire que cet enfant va être capable de faire convenablement les apprentissages requis ? Il faut que cet enfant ait des instruments suffisants dans sa trousse décolier, il faut quil ait envie de sen servir, il faut un lieu scolaire favorable, et enfin retenir que tous les événements de sa vie vont avoir une répercussion sur ses disponibilités humaines.
Avoir les instruments suffisants
Posséder la santé physique : il faut avoir dépisté précocement tous les handicaps lourds ; il faut avoir repéré précocement et avoir pallié les déficits sensoriels visuels, auditifs. Il ne faut pas oublier de repérer aussi des retards dacquisition psychomotrice et le retard dans les notions essentielles de repérage dans le temps et lespace, dans le repérage droite gauche, dans les dominances latérales. Des enfants malhabiles, sans perturbations neuro-motrices vont être très désemparés devant les apprentissages, en particulier décriture et de repérage du sens des lettres et de la place des mots dans la phrase.
Avoir un niveau de disponibilité et daptitude mentale suffisante : attention, compréhension, déduction de la cause à leffet, mémoire, globalement ce quon a lhabitude dappeler lintelligence.
Posséder le moyen de communication quest le langage. Langage gestuel déjà, possibilité de mimiques, de comportements expressifs, mais surtout langage oral, capacité pour lenfant de se nommer à la première personne, laccès au « je » aux alentours de trois ans, un vocabulaire suffisamment développé et la possibilité dorganiser les mots dans une phrase.
Avoir envie de sen servir
Posséder un certain appétit de découverte, le désir de parler, découter, de poser des questions, de répondre.
Retrouver limportance particulière de la famille et des parents : le niveau de langage des parents, leur culture, leur disponibilité pour lécole.
Les difficultés surgissent si des enfants arrivent à lécole sans très bien savoir ce quon va y faire ni à quoi cela sert ; si ses parents ne lui ont pas montré ou insufflé, ce à quoi cela correspond ; si cet enfant ne peut pas se repérer par rapport à ses parents
Se repérer par rapport à sa fratrie et par rapport aux autres enfants, par lapprentissage des jeux solitaires, puis observant lautre, des jeux partagés. Pour quun enfant ait accès au calcul, il faut déjà quil puisse compter jusquà trois, cest-à-dire parfaitement se reconnaître entre papa, maman et lui.
Trouver un milieu scolaire relativement favorable
Avoir envie dutiliser ces instruments, envie dy communiquer quelque chose de lui, et de recevoir quelque chose des autres. Lieu scolaire favorable par une pédagogie accueillant lenfant, basée sur sa réussite, et qui ne passe pas uniquement par les matières traditionnellement scolaires.
Être attentif aux événements de la vie de lenfant
Ils ont une incidence sur la disponibilité de lenfant pour les apprentissages : les maladies, les décès dans lentourage, la naissance dun frère ou dune sur, la perte demploi dun parent, le déménagement, la catastrophe naturelle, laccident, la maltraitance. Les conditions de sa vie vont influer singulièrement sur sa disponibilité aux propositions dacquisition faites en classe.
Le maître symptôme à cet âge est le trouble du langage oral ou dysphasie : tout enfant qui ne parle pas correctement ou assez bien ne peut facilement apprendre à lire, quelles que soient les méthodes pédagogiques successives utilisées sans succès. La dyslexie, difficulté dapprentissage de la lecture, du langage écrit et lu, fera le lit de linsuccès scolaire chronique, cause de la dévalorisation de soi et du rejet de lécole par lenfant au niveau des classes secondaires. Si lenfant manifeste un trouble durable dans les apprentissages, il faut considérer cet enfant dans sa globalité, et pas uniquement en fonction de lapprentissage pour lequel il y a un échec.
Létat de santé des Français saméliore globalement. Mais les écarts entre les extrêmes sociaux augmentent. Le niveau déducation et le niveau scolaire sont des déterminants de santé, car ce sont eux qui peuvent prédire le mieux lespérance de vie et les prévalences des pathologies. Léducation, le milieu scolaire vont être corrélés à la catégorie socioprofessionnelle où vont sinscrire les adultes. Cette catégorie est un indicateur synthétique dans lequel ces facteurs sont prépondérants. Limage de soi que renvoie la société par lintermédiaire de lécole joue un rôle important dans lorganisation de la vie de chacun.
Lécole, par limportance du temps passé par lenfant, et des sollicitations qui lui sont faites, devient le premier lieu révélateur des troubles dévolution psychologiques et affectives : souhait dune pédagogie daccueil et de réussite adaptée dès les premières années décoles maternelles et primaires ; détection précoce des troubles sensoriels, dépistage précoce des troubles du langage parlé, mais il faut laisser le temps à un enfant dévoluer ; dépistage des retards de maturation psychomotrice et des anomalies comportement.
Les difficultés dapprentissage peuvent survenir dans toutes les familles. Mais qui voit lenfant et saperçoit de ses difficultés ? Ses parents et ses proches tout dabord. Les services de PMI, les intervenants en école maternelle, les services de promotion de la santé en faveur des élèves, les médecins généralistes, pédiatres et les pédo-psychiatres auxquels très souvent les parents font appel.
Cest lintérêt dun examen à lâge de 4 ans. On peut regretter que cet examen des 4 ans nait pas été généralisé ; lenfant a déjà évolué suffisamment pour que des tendances soient perceptibles, et quil soit possible dintervenir avant lâge de 6 ans auquel on propose les apprentissages du langage écrit. Dans dautres pays, les apprentissages viennent un peu plus tard pour permettre à lenfant de faire le plein de sa maturation langagière.
Depuis Lille en 1997, la CNS sest déjà intéressée avec vigueur à la petite enfance, à la maternité, à la parentalité ; cest vraiment le moment dy mettre tous nos efforts Lessentiel est sans nul doute le travail densemble des pédagogues, psychologues, orthophonistes, rééducateurs en psychomotricité, assistants sociaux qui sont sollicités ; la multi-disciplinarité est très souvent nécessaire, non pas que tous les professionnels cités aient besoin dintervenir pour chaque enfant, mais à chaque enfant son symptôme particulier et son mode dapproche le plus adéquat.
Lessentiel est peut-être de donner une place consistante dans la formation initiale et continue des professionnels à propos des premières années du développement de lenfant. Il importe à tous de connaître les lieux daide, les équipes spécialisées dans lÉducation nationale, les orthophonistes installés en libéral, etc et de se tenir au courant des structures éducatives et médico-sociales, intervenant auprès des familles les plus en difficulté ; ceci est grandement\par ignoré de nombreux professionnels de santé dans leur ensemble. Familles, pédagogues, soignants, sociaux, suffisamment informés ont à faire un pas, les uns vers les autres, en étant convaincus que lattention portée à un enfant pourra laider à construire son projet de vie.
Linformation doit porter sur le développement cognitif, langagier ou psychomoteur chez le tout jeune enfant ; elle doit mettre en exergue les efforts faits et à faire en terme dadaptation pédagogique ou éducative ; elle doit conduire à repérer suffisamment tôt, pour conduire ensuite les étapes diagnostiques.
proposition 10 : Les troubles de lapprentissage et lécole
Soutenir les efforts réalisés pour prévenir léchec scolaire et pour adapter les pratiques pédagogiques et les comportements éducatifs :
Favoriser toute action dinformation concernant le développement cognitif, langagier et psychomoteur de lenfant.
Améliorer le repérage et le dépistage précoces, le traitement des troubles spécifiques du langage, des troubles de la vision, de laudition, des troubles psychoaffectifs, facteurs déchec scolaire, professionnel, culturel et de précarisation sociale.
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* M. Joubert, P. Chauvin, F. Facy, V. Ringa (coord) : Précarisation, risque et santé (Inserm : coll. Questions en santé publique Févr 2001
Source : Conférence nationale Santé : rapport 2001 du Professeur Marc Brodin - nota : 15 propositions ont été faites par la conférence, la proposition 10 concernant spécifiquement les troubles d'apprentissage